Statuts de l'Entreprise

L'Enfer, à côté, c'est rien.
Tous les jours depuis un temps indéterminé, vous vous levez, toujours à la même heure, avec une sonnerie de téléphone ou un bip bip immonde de radio-réveil qui vous tire de rêves qui ressemblent à des cauchemars. Et tous les jours c'est le même cinéma. Vous devez vous battre pour accéder à la salle de bain, ou déplorer n'y trouver personne qui puisse vous motiver à vous doucher sans mettre de la mousse sur le tapis de bain, qu'il faudrait changer un jour, d'ailleurs.
Vous vous rendez vite compte que vous avez un rendez-vous à 9h, et qu'à l'heure qu'il est, vous allez devoir faire l'impasse sur votre petit déjeuner. Vous avalez deux cuillères de céréales trop molles, parce que le paquet est resté ouvert, un taost trop grillé qui sent le brûlé et vous lacez vos chaussures dans l'ascenseur de votre immeuble. Si vous êtes en maison c'est pire, car ce que vous n'aviez pas vu la belle pêche du chien du voisin, juste sur votre pallier...

Vous sortez de chez vous mal coiffé et déjà vous vous engouffrez dans les bouchons. Entre les klaxons et les odeurs de pots d'échappement, aucune station de radio ne semble vouloir être captée alors qu'on est en pleine ville. Il vous faut supporter au minimum 1h d'embouteillages avant de pouvoir entrer dans La City, et laisser votre voiture au parking sous-terrain où Rob vous accueille avec son costume toujours impeccable. Mais comment fait-il pour avoir l'air si effrayant ? Vous vous rendez compte qu'un connard vous a piqué votre place de stationnement mais vous n'avez déjà plus la force d'aller râler, alors vous volez celle d'un autre.

Il faut passer devant la standardiste, dont la jupe est toujours aussi courte, et prendre l'ascenceur durant un temps interminable où un ballet d'entrées et de sorties se déroule sous vos yeux. Vous serrez des mains, offrez vos joues, faites des bises qui claquent, essuyez le rouge à lettre sur vos pomettes, remettez votre cravate mal nouée, laissez tomber vos dossiers, les ramassez en entendant les rires des collègues qui se moquent de votre bragette restée ouverte.

Votre bureau est pire qu'un souk, votre Boss a cherché un dossier sans le trouver, hier soir, tard dans la nuit, et a mis vos placards sans dessus dessous. Vous allez péniblement jusqu'à la machine à café, entendez vos collègues raconter leur week end et parier sur l'heure à laquelle l'un des Directeurs va s'enfermer dans son bureau avec son assistante, vous renversez votre thé brûlant sur vos chaussures, votre rendez-vous est arrivé, vos mains collent.

Vous avez le temps de regarder vos e-mails pendant que le prestataire vous présente sa société, qui va changer votre vie pour une somme astronomique, et sur la centaine de mails arrivés, cinquante sont des notes de service sur la sécurité, le stress ou la drogue au travail. Douze sont des spams pour du Viagra et trois vous demandent d'assister à une réunion qui se déroulent le même jour. Votre rendez-vous vous tend une carte et vous n'avez qu'un post-it pour lui écrire votre ligne directe.

Un mail attire votre attention, votre Boss veut les conclusions du Dossier Stanford & Co. sur son bureau à 9h précises. Il est 9h46 et votre rendez-vous n'attend pas d'avoir refermé la porte de votre bureau qu'il appelle sa Direction pour leur annoncer la bonne nouvelle : il a réussi à entuber un pigeon de chez Rossum Cybernetics.

Il est seulement 9h46, et vous avez envie de sauter du 8ème étage.